Le Juif Errant

| 13.05 - L'Indien à Paris.

 

 

 

V. L’Indien à Paris.
Depuis trois jours, Mlle de Cardoville était sortie de chez le docteur Baleinier. La scène suivante se passait dans une petite maison de la rue Blanche, où Djalma avait été conduit au nom d’un protecteur inconnu.
 
Que l’on se figure un joli salon rond, tendu d’étoffe de l’Inde, fond gris-perle à dessins pourpres, sobrement rehaussés de quelques fils d’or ; le plafond, vers son milieu, disparaît sous de pareilles draperies nouées et réunies par un gros cordon de soie ; à chacun des deux bouts de ce cordon, retombant inégalement, est suspendue, en guise de gland, une petite lampe indienne de filigrane d’or, d’un merveilleux travail. Par une de ces ingénieuses combinaisons si communes dans les pays barbares, ces lampes servent aussi de brûle-parfums ; de petites plaques de cristal bleu, enchâssées au milieu de chaque vide laissé par la fantaisie des arabesques et éclairées par une lumière intérieure, brillent d’un azur si limpide que ces lampes d’or semblent constellées de saphirs transparents ; de légers nuages de vapeur blanchâtres s’élèvent incessamment de ces deux lampes et répandent dans l’espace leur senteur embaumée. Le jour n’arrive dans ce salon (il est environ deux heures de relevée) qu’en traversant une petite serre chaude que l’on voit à travers une glace sans tain, formant porte-fenêtre, et pouvant disparaître dans l’épaisseur de la muraille, en glissant le long de la rainure pratiquée au plancher. Un store de Chine peut, en s’abaissant, cacher ou remplacer cette glace.
 
Quelques palmiers nains, des musas et autres végétaux de l’Inde, aux feuilles épaisses et d’un vert métallique, disposés en bosquets dans cette serre chaude, servent de perspective et pour ainsi dire de fond à deux larges massifs diaprés de fleurs exotiques, séparés par un petit chemin dallé en faïence japonaise jaune et bleue, qui vient aboutir au pied de la glace. Le jour, déjà considérablement affaibli par le réseau de feuilles qu’il traverse, prend une nuance d’une douceur singulière en se combinant avec la lueur des lampes à parfums et les clartés vermeilles de l’ardent foyer d’une haute cheminée de porphyre oriental.
 
Dans cette pièce un peu obscure, tout imprégnée de suaves senteurs mêlées à l’odeur aromatique du tabac persan, un homme à chevelure brune et pendante, portant une longue robe d’un vert sombre, serrée autour des reins par une ceinture bariolée, est agenouillé sur un magnifique tapis de Turquie ; il attise avec soin le fourneau d’or d’un houka ; le flexible et le long tuyau de cette pipe, après avoir déroulé ses nœuds sur le tapis, comme un serpent d’écarlate écaillé d’argent, aboutit entre les doigts ronds et effilés de Djalma, mollement étendu sur le divan.
 
Le jeune prince a la tête nue ; ses cheveux de jais à reflets bleuâtres, séparés au milieu de son front, flottent onduleux et doux autour de son visage et de son cou d’une beauté antique et d’une couleur chaude, transparente, dorée comme l’ambre et la topaze ; accoudé sur un coussin, il appuie son menton sur la paume de sa main droite ; la large manche de sa robe, retombant presque jusqu’à la saignée, laisse voir sur son bras, rond comme celui d’une femme, les signes mystérieux autrefois tatoués dans l’Inde par l’aiguille de l’Étrangleur. Le fils de Kadja-Sing tient de sa main gauche le bouquin d’ambre de sa pipe. Sa robe de magnifique cachemire blanc, dont la bordure palmée de mille couleurs monte jusqu’à ses genoux, est serrée à sa taille mince et cambrée par les larges plis d’un châle orange ; le galbe élégant et pur de l’une des jambes de cet Antinoüs asiatique, à demi découverte par un pli de sa robe, se dessine sous une espèce de guêtre très juste, en velours cramoisi, brodée d’argent, échancrée sur le cou-de-pied d’une petite mule de maroquin blanc à talon rouge. À la fois douce et mâle, la physionomie de Djalma exprime ce calme mélancolique et contemplatif habituel aux Indiens et aux Arabes, heureux privilégiés qui, par un rare mélange, unissent l’indolence méditative du rêveur à la fougueuse énergie de l’homme d’action ; tantôt délicats, nerveux, impressionnables comme des femmes, tantôt déterminés, farouches et sanguinaires comme des bandits. Et cette comparaison semi-féminine appliquée au moral des Indiens et des Arabes, tant qu’ils ne sont pas entraînés par l’élan de la bataille ou l’ardeur du carnage, peut aussi leur être appliquée presque physiquement ; car si, de même que les femmes de race pure, ils ont les extrémités mignonnes, les attaches déliées, les formes aussi fines que souples, cette enveloppe délicate et souvent charmante cache toujours des muscles d’acier, d’un ressort et d’une vigueur toute virile.
 
Les longs yeux de Djalma, semblables à des diamants noirs enchâssés dans une nacre bleuâtre, errent machinalement des fleurs exotiques au plafond ; de temps à autre il approche de sa bouche le bout d’ambre du houka ; puis, après une lente aspiration, entr’ouvrant ses lèvres rouges, fermement dessinées sur l’éblouissant émail de ses dents, il expire une petite spirale de fumée fraîchement aromatisée par l’eau de rose qu’elle traverse.
 
– Faut-il remettre du tabac dans le houka ? dit l’homme agenouillé en se tournant vers Djalma et montrant les traits accentués et sinistres de Faringhea l’Étrangleur.
 
Le jeune prince resta muet, soit que, dans son mépris oriental pour certaines races, il dédaignât de répondre au métis, soit qu’absorbé dans ses rêveries il ne l’eût pas entendu.
 
L’Étrangleur se tut, s’accroupit sur le tapis, puis, les jambes croisées, les coudes appuyés sur ses genoux, son menton dans ses deux mains et les yeux incessamment fixés sur Djalma, il attendit la réponse ou les ordres de celui dont le père était surnommé le Père du Généreux.
 
Comment Faringhea, ce sanglant sectateur de Bohwanie, divinité du meurtre avait-il accepté ou recherché des fonctions si humbles ? Comment cet homme, d’une portée d’esprit peu vulgaire, cet homme dont l’éloquence passionnée, dont l’énergie avaient recruté tant de séides à la bonne œuvre, s’était-il résigné à une condition si subalterne ? Comment enfin cet homme, qui, profitant de l’aveuglement du jeune prince à son égard, pouvait offrir une si belle proie à Bohwanie, respectait-il les jours du fils de Kadja-Sing ? Comment enfin s’exposait-il à la fréquente rencontre de Rodin, dont il était connu sous de fâcheux antécédents ?
 
La suite de ce récit répondra à ces questions. L’on peut seulement dire à cette heure qu’après un long entretien qu’il avait eu la veille avec Rodin, l’Étrangleur l’avait quitté, l’œil baissé, le maintien discret.
 
Après avoir gardé le silence pendant quelque temps, Djalma, tout en suivant du regard la bouffée de fumée blanchâtre qu’il venait de lancer dans l’espace, s’adressant à Faringhea sans tourner les yeux vers lui, lui dit dans ce langage à la fois hyperbolique et concis assez familier aux Orientaux :
 
– L’heure passe… le vieillard au cœur bon n’arrive pas… mais il viendra… Sa parole est sa parole…
 
– Sa parole est sa parole, monseigneur, répéta Faringhea d’un ton affirmatif ; quand il a été vous trouver, il y a trois jours, dans cette maison où ces misérables, pour leurs méchants desseins, vous avaient conduit traîtreusement endormi, comme ils m’avaient endormi moi-même… moi, votre serviteur vigilant et dévoué… il vous a dit : « L’ami inconnu qui vous a envoyé chercher au château de Cardoville m’adresse à vous, prince : ayez confiance, suivez-moi ; une demeure digne de vous est préparée. » Il vous a dit encore, monseigneur : « Consentez à ne pas sortir de cette maison jusqu’à mon retour ; votre intérêt l’exige ; dans trois jours vous me reverrez, alors toute liberté vous sera rendue… » Vous avez consenti, monseigneur, et depuis trois jours vous n’avez pas quitté cette maison.
 
– Et j’attends le vieillard avec impatience, dit Djalma, car cette solitude me pèse… Il doit y avoir tant de choses à admirer à Paris ! Et surtout…
 
Djalma n’acheva pas et retomba dans sa rêverie. Après quelques moments de silence, le fils de Kadja-Sing dit tout à coup à Faringhea d’un ton de sultan impatient et désœuvré :
 
– Parle-moi !
 
– De quoi vous parler, monseigneur ?
 
– De ce que tu voudras, dit Djalma avec un insouciant dédain, en attachant au plafond ses yeux à demi voilés de langueur, une pensée me poursuit… je veux m’en distraire… parle-moi…
 
Faringhea jeta un coup d’œil pénétrant sur les traits du jeune Indien ; il les vit colorés d’une légère rougeur.
 
– Monseigneur, dit le métis, votre pensée… je la devine…
 
Djalma secoua la tête sans regarder l’Étrangleur. Celui-ci reprit :
 
– Vous songez aux femmes de Paris, monseigneur…
 
– Tais-toi, esclave… dit Djalma.
 
Et il se retourna brusquement sur le sofa, comme si l’on eût touché le vif d’une blessure douloureuse.
 
Faringhea se tut.
 
Au bout de quelques moments, Djalma reprit avec impatience, en jetant au loin le tuyau du houka, et cachant ses deux yeux sous ses mains :
 
– Tes paroles valent encore mieux que le silence… Maudites soient mes pensées, maudit soit mon esprit qui évoque ces fantômes !
 
– Pourquoi fuir ces pensées, monseigneur ? Vous avez dix-neuf ans, votre adolescence s’est tout entière passée à la guerre ou en prison, et jusqu’à ce jour vous êtes resté aussi chaste que Gabriel, ce jeune prêtre chrétien, notre compagnon de voyage.
 
Quoique Faringhea ne se fût en rien départi de sa respectueuse déférence envers le prince, celui-ci sentit une légère ironie percer à travers l’accent du métis lorsqu’il prononça le mot chaste. Djalma lui dit avec un mélange de hauteur et de vérité :
 
– Je ne veux pas, auprès de ces civilisés, passer pour un barbare, comme ils nous appellent… aussi je me glorifie d’être chaste.
 
– Je ne vous comprends pas, monseigneur.
 
– J’aimerai peut-être une femme pure, comme l’était ma mère lorsqu’elle a épousé mon père… et ici, pour exiger la pureté d’une femme, il faut être chaste comme elle…
 
À cette énormité, Faringhea ne put dissimuler un sourire sardonique.
 
– Pourquoi ris-tu, esclave ? dit impérieusement le jeune prince.
 
– Chez les civilisés… comme vous dites, monseigneur, l’homme qui se marierait dans toute la fleur de son innocence… serait blessé à mort par le ridicule.
 
– Tu mens, esclave ; il ne serait ridicule que s’il épousait une jeune fille qui ne fût pas pure comme lui.
 
– Alors, monseigneur, au lieu d’être blessé… il serait tué par le ridicule, car il serait deux fois impitoyablement raillé…
 
– Tu mens… tu mens… ou, si tu dis vrai, qui t’a instruit ?
 
– J’avais vu des femmes parisiennes à l’île de France et à Pondichéry, monseigneur ; puis, j’ai beaucoup appris pendant notre traversée : je causais avec un jeune officier pendant que vous causiez avec le jeune prêtre.
 
– Ainsi, comme les sultans de nos harems, les civilisés exigent des femmes une innocence qu’ils n’ont plus ?
 
– Ils en exigent d’autant plus qu’ils en ont moins, monseigneur.
 
– Exiger ce qu’on n’accorde pas, c’est agir de maître à esclave ; et ici, de quel droit cela ?
 
– Du droit que prend celui qui fait le droit… c’est comme chez nous, monseigneur.
 
– Et les femmes, que font-elles ?
 
– Elles empêchent les fiancés d’être trop ridicules aux yeux du monde lorsqu’ils se marient.
 
– Et une femme qui trompe… ici, on la tue ? dit Djalma se redressant brusquement et attachant sur Faringhea un regard farouche qui étincela tout à coup d’un feu sombre.
 
– On la tue, monseigneur, toujours comme chez nous : femme surprise, femme morte.
 
– Despotes comme nous, pourquoi les civilisés n’enferment-ils pas comme nous leurs femmes pour les forcer à une fidélité qu’ils ne gardent pas ?
 
– Parce qu’ils sont civilisés comme des barbares… et barbares comme des civilisés, monseigneur.
 
– Tout cela est triste, si tu dis vrai, reprit Djalma d’un air pensif.
 
Puis il ajouta avec une certaine exaltation et en employant, selon son habitude, le langage quelque peu mystique et figuré, familier à ceux de son pays :
 
– Oui, ce que tu me dis m’afflige, esclave… car deux gouttes de rosée du ciel se fondant ensemble dans le calice d’une fleur… ce sont deux cœurs confondus dans un virginal et pur amour… deux rayons de feu s’unissant en une seule flamme inextinguible, ce sont les brûlantes et éternelles délices de deux amants devenus époux.
 
Si Djalma parla des pudiques jouissances de l’âme avec un charme inexprimable, lorsqu’il peignit un bonheur moins idéal, ses yeux brillèrent comme des étoiles, il frissonna légèrement, ses narines se gonflèrent, l’or pâle de son teint devint vermeil, et le jeune prince retomba dans une rêverie profonde.
 
Faringhea, ayant remarqué cette dernière émotion, reprit :
 
– Et si, comme le fier et brillant oiseau-roi[1] de notre pays, le sultan de nos bois, vous préfériez à des amours uniques et solitaires des plaisirs nombreux et variés ; beau, jeune, riche comme vous l’êtes, monseigneur, si vous recherchiez ces séduisantes Parisiennes, vous savez… ces voluptueux fantômes de vos nuits, ces charmants tourmenteurs de vos rêves ; si vous jetiez sur elles des regards hardis comme un défi, suppliants comme une prière ou brûlants comme un désir, croyez-vous que bien des yeux à demi voilés ne s’enflammeraient pas au feu de vos prunelles ! Alors ce ne seraient plus les monotones délices d’un unique amour… chaîne pesante de notre vie ; non, ce seraient les mille voluptés du harem… mais du harem peuplé de femmes libres et fières, que l’amour heureux ferait vos esclaves. Pur et contenu jusqu’ici, il ne peut exister pour vous d’excès… croyez-moi donc ; ardent, magnifique, c’est vous, fils de notre pays, qui deviendrez l’amour, l’orgueil, l’idolâtrie de ces femmes ; et ces femmes, les plus séduisantes du monde entier, n’auront bientôt plus que pour vous des regards languissants et passionnés !
 
Djalma avait écouté Faringhea avec un silence avide. L’expression des traits du jeune Indien avait complètement changé : ce n’était plus cet adolescent mélancolique et rêveur, invoquant le saint souvenir de sa mère, et ne trouvant que dans la rosée du ciel, que dans le calice des fleurs, des images assez pures pour peindre la chasteté, l’amour qu’il rêvait ; ce n’était même plus le jeune homme rougissant d’une ardeur pudique à la pensée des délices permises d’une union légitime. Non, non, les incitations de Faringhea avaient fait éclater tout à coup un feu souterrain : la physionomie enflammée de Djalma, ses yeux tour à tour étincelants et voilés, l’inspiration mâle et sonore de sa poitrine, annonçaient l’embrasement de son sang et le bouillonnement de ses passions, d’autant plus énergiques qu’elles avaient été jusqu’alors contenues. Aussi… s’élançant tout à coup du divan, souple, vigoureux et léger comme un jeune tigre, Djalma saisit Faringhea à la gorge en s’écriant :
 
– C’est un poison brûlant que tes paroles !…
 
– Monseigneur, dit Faringhea sans opposer la moindre résistance, votre esclave est votre esclave…
 
Cette soumission désarma le prince.
 
– Ma vie, vous appartient, répéta le métis.
 
– C’est moi qui t’appartiens, esclave ! s’écria Djalma en le repoussant. Tout à l’heure j’étais suspendu à tes lèvres… dévorant tes dangereux mensonges !…
 
– Des mensonges, monseigneur !… Paraissez seulement à la vue de ces femmes : leurs regards confirmeront mes paroles.
 
– Ces femmes m’aimeraient… moi qui n’ai vécu qu’à la guerre et dans les forêts !
 
– En pensant que si jeune, vous avez déjà fait une sanglante chasse aux hommes et aux tigres… elles vous adoreront, monseigneur.
 
– Tu mens.
 
– Je vous le dis, monseigneur, en voyant votre main, qui, aussi délicate que les leurs, s’est si souvent trempée dans le sang ennemi, elles voudront la baiser encore en pensant que, dans nos forêts, votre carabine armée, votre poignard entre vos dents, vous avez souri aux rugissements du lion ou de la panthère que vous attendiez.
 
– Mais je suis un sauvage… un barbare…
 
– Et c’est pour cela qu’elles seront à vos pieds ; elles se sentiront à la fois effrayées et charmées en songeant à toutes les violences, à toutes les fureurs, à tous les emportements de jalousie, de passion et d’amour auxquels un homme de votre sang, de votre jeunesse et de votre ardeur doit se livrer… Aujourd’hui doux et tendre, demain ombrageux et farouche, un autre jour ardent et passionné… tel vous serez… tel il faut être pour les entraîner… Oui, oui, qu’un cri de rage s’échappe entre deux caresses, qu’elles retombent enfin brisées, palpitantes de plaisir, d’amour et de frayeur… et vous ne serez plus pour elles un homme… mais un dieu…
 
– Tu crois ?… s’écria Djalma, emporté malgré lui par la sauvage éloquence de l’Étrangleur.
 
– Vous savez… vous sentez que je dis vrai, s’écria celui-ci en étendant le bras vers le jeune Indien.
 
– Eh bien, oui, s’écria Djalma le regard étincelant, les narines gonflées, en parcourant le salon pour ainsi dire par soubresauts et par bonds sauvages, je ne sais si j’ai ma raison ou si je suis ivre, mais il me semble que tu dis vrai… oui, je le sens, on m’aimera avec délire, avec furie… parce que j’aimerai avec délire, avec furie… on frissonnera de bonheur et d’épouvante… Esclave, tu dis vrai, ce sera quelque chose d’enivrant et de terrible que cet amour…
 
En prononçant ces mots, Djalma était superbe d’impétueuse sensualité ; c’était chose belle et rare, l’homme arrivé pur et contenu jusqu’à l’âge où doivent se développer dans toute leur toute-puissante énergie les admirables instincts qui, comprimés, faussés ou pervertis, peuvent altérer la raison ou s’égarer en débordements effrénés, en crimes effroyables, mais qui, dirigés vers une grande et noble passion, peuvent et doivent, par leur violence même, élever l’homme, par le dévouement et par la tendresse, jusqu’aux limites de l’idéal.
 
– Oh ! cette femme… cette femme… devant qui je tremblerai et qui tremblera devant moi… où est-elle donc ? s’écria Djalma dans un redoublement d’ivresse. La trouverai-je jamais ?
 
– Une, c’est beaucoup, monseigneur, reprit Faringhea avec sa froideur sardonique : qui cherche une femme la trouve rarement dans ce pays ; qui cherche des femmes est embarrassé du choix.
 
* * * * *
 
Au moment où le métis faisait cette impertinente réponse à Djalma, on put voir à la petite porte du jardin de cette maison, porte qui s’ouvrait sur une ruelle déserte, s’arrêter une voiture coupé, d’une extrême élégance, à caisse bleu lapis et à train blanc aussi réchampi de bleu ; cette voiture était admirablement attelée de beaux chevaux de sang bai doré à crins noirs ; les écussons des harnais étaient d’argent ainsi que les boutons de la livrée des gens, livrée bleu clair à collet blanc ; sur la housse, aussi bleue et galonnée de blanc, ainsi que sur les panneaux des portières, on voyait des armoiries en losange sans cimier ni couronne, ainsi que cela est d’usage pour les jeunes filles.
 
Deux femmes étaient dans cette voiture : Mlle de Cardoville et Florine.
 


[1] Variété des oiseaux de paradis, gallinacés fort amoureux.