Le Juif Errant

| Deuxième partie - La rue du Milieu-des-Ursins - I. Les messagers.[1]

 

 

 

Morok, le dompteur de bêtes, voyant Dagobert privé de son cheval, dépouillé de ses papiers, de son argent, et le croyant ainsi hors d’état de continuer sa route, avait, avant l’arrivée du bourgmestre, envoyé Karl à Leipzig, porteur d’une lettre que celui-ci devait immédiatement mettre à la poste.
 
L’adresse de cette lettre était ainsi conçue :
 
À monsieur Rodin, rue du Milieu-des-Ursins, n° 11 à Paris.
 
Vers le milieu de cette rue solitaire, assez ignorée, située au-dessous du niveau du quai Napoléon, où elle débouche non loin de Saint-Landry, il existait alors une maison de modeste apparence, élevée au fond d’une cour sombre, étroite, et isolée de la rue par un petit bâtiment de façade, percé d’une porte cintrée et de deux croisées garnies d’épais barreaux de fer.
 
Rien de plus simple que l’intérieur de cette silencieuse demeure, ainsi que le démontrait l’ameublement d’une assez grande salle au rez-de-chaussée du corps de logis principal. De vieilles boiseries grises couvraient les murs ; le sol, carrelé, était peint en rouge et soigneusement ciré ; des rideaux de calicot blanc se drapaient aux croisées. Une sphère de quatre pieds de diamètre environ, placée sur un piédestal de chêne massif à l’extrémité de la chambre, faisait face à la cheminée. Sur ce globe d’une grande échelle, on remarquait une foule de petites croix rouges disséminées sur toutes les parties du monde : du nord au sud, du levant au couchant, depuis les pays les plus barbares, les îles les plus lointaines, jusqu’aux nations les plus civilisées, jusqu’à la France, il n’y avait pas une contrée qui n’offrît plusieurs endroits marqués de ces petites croix rouges servant évidemment de signes indicateurs ou de points de repère. Devant une table de bois noir, chargée de papiers et adossée au mur à proximité de la cheminée, une chaise était vide ; plus loin, entre les deux fenêtres, on voyait un grand bureau de noyer, surmonté d’étagères remplies de cartons.
 
À la fin du mois d’octobre 1831, vers les huit heures du matin, assis à ce bureau, un homme écrivait. Cet homme était M. Rodin, le correspondant de Morok, le dompteur de bêtes.
 
Âgé de cinquante ans, il portait une vieille redingote olive, râpée, au collet graisseux, un mouchoir à tabac pour cravate, un gilet et un pantalon de drap noir qui montraient la corde. Ses pieds, chaussés de gros souliers huilés, reposaient sur un petit carré de tapis vert placé sur le carreau rouge et brillant. Ses cheveux gris s’aplatissaient sur ses tempes et couronnaient son front chauve ; ses sourcils étaient à peine indiqués ; sa paupière supérieure, flasque et retombante comme la membrane qui voile à demi les yeux des reptiles, cachait à moitié son petit œil vif et noir ; ses lèvres minces, absolument incolores, se confondaient avec la teinte blafarde de son visage maigre, au nez pointu, au menton pointu. Ce masque livide, pour ainsi dire sans lèvres, semblait d’autant plus étrange qu’il était d’une immobilité sépulcrale ; sans le mouvement rapide des doigts de M. Rodin qui, courbé sur son bureau, faisait grincer sa plume, on l’eût pris pour un cadavre.
 
À l’aide d’un chiffre (alphabet secret) placé devant lui, il transcrivait, d’une manière inintelligible pour qui n’eût pas possédé la clef de ces signes, certains passages d’une longue feuille d’écriture. Au milieu de ce silence profond, par un jour bas et sombre qui faisait paraître plus triste encore cette grande pièce froide et nue, il y avait quelque chose de sinistre à voir cet homme, à figure glacée, écrire en caractères mystérieux.
 
Huit heures sonnèrent. Le marteau de la porte cochère retentit sourdement, puis un timbre frappa deux coups ; plusieurs portes s’ouvrirent, se fermèrent, et un nouveau personnage entra dans cette chambre. À sa vue, M. Rodin se leva, mit sa plume entre ses doigts, salua d’un air profondément soumis, et se remit à sa besogne sans prononcer une parole.
 
Ces deux personnages offraient un contraste frappant. Le nouveau venu, plus âgé qu’il ne le paraissait, semblait avoir au plus trente-six ou trente-huit ans ; il était d’une taille élégante et élevée : on aurait difficilement soutenu l’éclat de sa large prunelle grise, brillante comme de l’acier. Son nez large à sa racine, se terminait par un méplat carrément accusé. Son menton prononcé étant partout rasé, les tons bleuâtres de sa barbe, fraîchement coupée, contrastaient avec le vif incarnat de ses lèvres et la blancheur de ses dents, qu’il avait très belles. Lorsqu’il ôta son chapeau pour prendre sur la petite table un bonnet de velours noir, il laissa voir une chevelure châtain clair que les années n’avaient pas encore argentée. Il était vêtu d’une longue redingote militairement boutonnée jusqu’au cou. Le regard profond de cet homme, son front largement coupé, révélaient une grande intelligence, tandis que le développement de sa poitrine et de ses épaules annonçait une vigoureuse organisation physique ; enfin, la distinction de sa tournure, le soin avec lequel il était ganté et chaussé, le léger parfum qui s’exhalait de sa chevelure, trahissaient ce qu’on appelle l’homme du monde, et donnaient à penser qu’il avait pu ou qu’il pouvait encore prétendre à tous les genres de succès, depuis les plus frivoles jusqu’aux plus sérieux.
 
De cet accord si rare à rencontrer, force d’esprit, force de corps et extrême élégance de manières, il résultait un ensemble d’autant plus remarquable, que ce qu’il y aurait eu de trop dominateur dans la partie supérieure de cette figure énergique était, pour ainsi dire, adouci, tempéré par l’affabilité d’un sourire constant, mais non pas uniforme ; car, selon l’occasion, ce sourire, tour à tour affectueux ou malin, cordial ou gai, discret ou prévenant, augmentait encore le charme insinuant de cet homme, que l’on n’oubliait jamais dès qu’une seule fois on l’avait vu. Néanmoins, malgré tant d’avantages réunis, et quoiqu’il vous laissât presque toujours sous l’influence de son irrésistible séduction, ce sentiment était mélangé d’une vague inquiétude, comme si la grâce et l’exquise urbanité des manières de ce personnage, l’enchantement de sa parole, ses flatteries délicates, l’aménité caressante de son sourire eussent caché quelque piège insidieux. L’on se demandait enfin, tout en cédant à une sympathie involontaire, si l’on était attiré vers le bien… ou vers le mal.
 
* * * *
 
M. Rodin, secrétaire du nouveau venu, continuait d’écrire.
 
– Y a-t-il des lettres de Dunkerque, Rodin ? lui demanda son maître.
 
– Le facteur n’est pas encore arrivé.
 
– Sans être positivement inquiet de la santé de ma mère, puisqu’elle est en convalescence, reprit l’autre, je ne serai tout à fait rassuré que par une lettre de Mme la princesse de Saint-Dizier… mon excellente amie… Enfin, ce matin, j’aurai de bonnes nouvelles, je l’espère…
 
– C’est à désirer, dit le secrétaire aussi humble, aussi soumis que laconique et impassible.
 
– Certes, c’est à désirer, reprit son maître, car un des meilleurs jours de ma vie a été celui où la princesse de Saint-Dizier m’a appris que cette maladie, aussi brusque que dangereuse, avait heureusement cédé aux bons soins dont ma mère est entourée… par elle… Sans cela je partais à l’instant pour la terre de la princesse, quoique ma présence soit ici bien nécessaire…
 
Puis s’approchant du bureau de son secrétaire, il ajouta :
 
– Le dépouillement de la correspondance étrangère est-il fait ?
 
– En voici l’analyse…
 
– Les lettres sont toujours venues sous enveloppe aux demeures indiquées… et apportées ici selon mes ordres ?
 
– Toujours…
 
– Lisez-moi l’analyse de cette correspondance : s’il y a des lettres auxquelles je doive répondre moi-même, je vous le dirai.
 
Et le maître de Rodin commença de se promener de long en large dans la chambre, les mains croisées derrière le dos, dictant à mesure des observations que Rodin notait soigneusement.
 
Le secrétaire prit un dossier assez volumineux et commença ainsi :
 
– Don Ramon Olivarès accuse de Cadix réception de la lettre numéro 19 ; il s’y conformera et niera toute participation à l’enlèvement.
 
– Bien ! à classer.
 
– Le comte Romanof de Riga se trouve dans une position embarrassée.
 
– Dire à Duplessis d’envoyer un secours de cinquante louis ; j’ai autrefois servi comme capitaine dans le régiment du comte, et depuis il a donné d’excellents avis.
 
– On a reçu à Philadelphie la dernière cargaison d’Histoires de France expurgées à l’usage des fidèles ; on en redemande, la première étant épuisée.
 
– Prendre note, en écrire à Duplessis… Poursuivez.
 
– M. Spindler envoie de Namur le rapport secret demandé sur M. Ardouin.
 
– À analyser…
 
– M. Ardouin envoie de la même ville le rapport secret demandé sur N. Spindler.
 
– À analyser…
 
– Le docteur Van Ostadt, de la même ville, envoie une note confidentielle sur MM. Spindler et Ardouin.
 
– À comparer… Poursuivez.
 
– Le comte Malipierri, de Turin, annonce que la donation de trois cent mille francs est signée.
 
– En prévenir Duplessis… Ensuite ?
 
– Don Stanislas vient de partir des eaux de Baden avec la reine Marie-Ernestine. Il donne avis que Sa Majesté recevra avec gratitude les avis qu’on lui annonce, et y répondra de sa main.
 
– Prenez note… J’écrirai moi-même à la reine.
 
Pendant que Rodin inscrivait quelques notes en marge du papier qu’il tenait, son maître, continuant de se promener de long en large dans la chambre, se trouva en face de la grande mappemonde marquée de petites croix rouges ; un instant il la contempla d’un air pensif.
 
Rodin continua :
 
– D’après l’état des esprits dans certaines parties de l’Italie, où quelques agitateurs ont les yeux tournés vers la France, le père Orsini écrit de Milan qu’il serait très important de répandre à profusion dans ce pays un petit livre dans lequel les Français, nos compatriotes, seraient présentés comme impies et débauchés… pillards et sanguinaires…
 
– L’idée est excellente, on pourra exploiter habilement les excès commis par les nôtres en Italie pendant les guerres de la République… Il faudra charger Jacques Dumoulin d’écrire ce petit livre. Cet homme est pétri de bile, de fiel et de venin ; le pamphlet sera terrible… D’ailleurs je donnerai quelques notes ; mais qu’on ne paye Jacques Dumoulin qu’après la remise du manuscrit…
 
– Bien entendu… si on le soldait d’avance, il serait ivre-mort pendant huit jours dans quelque mauvais lieu. C’est ainsi qu’il a fallu lui payer deux fois son virulent factum contre les tendances panthéistes de la doctrine philosophique du professeur Martin.
 
– Notez… et continuez.
 
– Le négociant annonce que le commis est sur le point d’envoyer le banquier rendre ses comptes devant qui de droit…
 
Après avoir accentué ces mots d’une façon particulière, Rodin dit à son maître :
 
– Vous comprenez ?…
 
– Parfaitement… dit l’autre en tressaillant. Ce sont les expressions convenues… Ensuite ?
 
– Mais le commis, reprit le secrétaire, est retenu par un dernier scrupule.
 
Après un moment de silence, pendant lequel ses traits se contractèrent péniblement, le maître de Rodin reprit :
 
– Continuer d’agir sur l’imagination du commis par le silence et la solitude, puis lui faire relire la liste des cas où le régicide est autorisé et absous… Continuez.
 
– La femme Sydney écrit de Dresde qu’elle attend les instructions. De violentes scènes de jalousie ont encore éclaté entre le père et le fils à son sujet ; mais dans ces nouveaux épanchements de haine mutuelle, dans ces confidences que chacun lui faisait contre son rival, la femme Sydney n’a encore rien trouvé qui ait trait aux renseignements qu’on lui demande. Elle a pu jusqu’ici éviter de se décider pour l’un ou pour l’autre ; mais si cette situation se prolonge, elle craint d’éveiller leurs soupçons. Qui doit-elle préférer, du père ou du fils ?
 
– Le fils… Les ressentiments de la jalousie seront bien plus violents, bien plus cruels chez ce vieillard ; et pour se venger de la préférence accordée à son fils, il dira peut-être ce que tous deux ont tant d’intérêt à cacher… Ensuite ?
 
– Depuis trois ans, deux servantes d’Ambrosius, que l’on a placées dans cette petite paroisse des montagnes du Valais, ont disparu, sans qu’on sache ce qu’elles sont devenues. Une troisième vient d’avoir le même sort. Les protestants du pays s’émeuvent, parlent de meurtre… de circonstances épouvantables…
 
– Jusqu’à preuve évidente, complète du fait, que l’on défende Ambrosius contre ces infâmes calomnies d’un parti qui ne recule jamais devant les inventions les plus monstrueuses… Continuez.
 
– Thompson, de Liverpool, est enfin parvenu à faire entrer Justin comme homme de confiance chez lord Steward, riche catholique irlandais dont la tête s’affaiblit de plus en plus.
 
– Une fois le fait vérifié, cinquante louis de gratification à Thompson, prenez note pour Duplessis… Poursuivez.
 
– Frank Dichestein, de Vienne, reprit Rodin, annonce que son père vient de mourir du choléra dans un petit village à quelques lieues de cette ville, car l’épidémie continue d’avancer lentement, venant du nord de la Russie par la Pologne…
 
– C’est vrai, dit le maître de Rodin en interrompant ; puisse le terrible fléau ne pas continuer sa marche effrayante et épargner la France !…
 
– Frank Dichestein, reprit Rodin, annonce que ses deux frères sont décidés à attaquer la donation faite par son père, mais que lui est d’un avis opposé.
 
– Consulter les deux personnes chargées du contentieux… Ensuite ?
 
– Le cardinal prince d’Amalli se conformera aux trois premiers points du mémoire. Il demande à faire ses réserves pour le quatrième point.
 
– Pas de réserves… acceptation pleine et absolue ; sinon la guerre : et notez-le bien, entendez-vous ? une guerre acharnée, sans pitié ni pour lui ni pour ses créatures… Ensuite ?
 
– Fra Paolo annonce que le patriote Boccari, chef d’une société secrète très redoutable, désespéré de voir ses amis l’accuser de trahison par suite des soupçons que lui, Fra Paolo, avait adroitement jetés dans leur esprit, s’est donné la mort.
 
– Boccari !! est-ce possible ?… Boccari !… le patriote Boccari !… cet ennemi si dangereux ? s’écria le maître de Rodin.
 
– Le patriote Boccari… répéta le secrétaire, toujours impassible.
 
– Dire à Duplessis d’envoyer un mandat de vingt-cinq louis à Fra Paolo… Prenez note.
 
– Haussmann annonce que la danseuse française Albertine Ducomet est la maîtresse du prince régnant : elle a sur lui la plus complète influence ; on pourrait donc par elle arriver sûrement au but qu’on se propose ; mais cette Albertine est dominée par son amant, condamné en France comme faussaire, et elle ne fait rien sans le consulter.
 
– Ordonner à Haussmann de s’aboucher avec cet homme ; si ses prétentions sont raisonnables, y accéder ; s’informer si cette fille n’a pas quelques parents à Paris.
 
– Le duc d’Orbano annonce que le roi son maître autorisera le nouvel établissement proposé, mais aux conditions précédemment notifiées.
 
– Pas de conditions, une franche adhésion ou un refus positif… On reconnaît ainsi ses amis et ses ennemis. Plus les circonstances sont défavorables, plus il faut montrer de fermeté et imposer par là confiance en soi.
 
– Le même annonce que le corps diplomatique tout entier continue d’appuyer les réclamations du père de cette jeune fille protestante qui ne veut quitter le couvent où elle a trouvé asile et protection que pour épouser son amant contre la volonté de son père.
 
– Ah !… le corps diplomatique continue de réclamer au nom de ce père ?
 
– Il continue…
 
– Alors, continuer de lui répondre que le pouvoir spirituel n’a rien à démêler avec le pouvoir temporel.
 
À ce moment le timbre de la porte d’entrée frappa deux coups.
 
– Voyez ce que c’est, dit le maître de Rodin.
 
Celui-ci se leva et sortit. Son maître continua de se promener, pensif d’un bout à l’autre de la chambre. Ses pas l’ayant encore amené auprès de l’énorme sphère, il s’y arrêta. Pendant quelque temps il contempla, dans un profond silence, les innombrables petites croix rouges qui semblaient couvrir d’un immense réseau toutes les contrées de la terre. Songeant sans doute à l’invisible action de son pouvoir, qui paraissait s’étendre sur le monde entier, les traits de cet homme s’animèrent, sa large prunelle grise étincela, ses narines se gonflèrent, sa mâle figure prit une incroyable expression d’énergie, d’audace et de superbe. Le front altier, la lèvre dédaigneuse, il s’approcha de la sphère et appuya sa vigoureuse main sur le pôle… À cette puissante étreinte, à ce mouvement impérieux, possessif, on aurait dit que cet homme se croyait sûr de dominer ce globe, qu’il contemplait de toute la hauteur de sa grande taille et sur lequel il posait sa main d’un air si fier, si audacieux. Alors il ne souriait pas. Son large front se plissait d’une manière formidable, son regard menaçait ; l’artiste qui aurait voulu peindre le démon de l’orgueil et de la domination n’aurait pu choisir un plus effrayant modèle. Lorsque Rodin rentra, la figure de son maître avait repris son expression habituelle.
 
– C’est le facteur, dit Rodin en montrant les lettres qu’il tenait à la main, il n’y a rien de Dunkerque…
 
– Rien !!! s’écria son maître.
 
Et sa douloureuse émotion contrastait singulièrement avec l’expression hautaine et implacable que son visage avait naguère.
 
– Rien !!! aucune nouvelle de ma mère ! reprit-il ; encore trente-six heures d’inquiétude.
 
– Il me semble que si Mme la princesse avait eu de mauvaises nouvelles à donner, elle eût écrit ; probablement le mieux continue…
 
– Vous avez sans doute raison, Rodin ; mais il n’importe… je ne suis pas tranquille… Si demain je n’ai pas de nouvelles complètement rassurantes, je partirai pour la terre de la princesse… Pourquoi faut-il que ma mère ait voulu aller passer l’automne dans ce pays !… Je crains que les environs de Dunkerque ne soient pas sains pour elle…
 
Après un moment de silence il ajouta, en continuant de se promener :
 
– Enfin… voyez ces lettres… d’où sont-elles ?…
 
Rodin, après avoir examiné leur timbre, répondit :
 
– Sur les quatre, il y en a trois relatives à la grande et importante affaire des médailles…
 
– Dieu soit loué !… pourvu que les nouvelles soient favorables, s’écria le maître de Rodin avec une expression d’inquiétude qui témoignait de l’extrême importance qu’il attachait à cette affaire.
 
– L’une, de Charlestown, est sans doute relative à Gabriel le missionnaire, répondit Rodin ; l’autre, de Batavia, a sans doute rapport à l’Indien Djalma… Celle-ci est de Leipzig… Sans doute elle confirme celle d’hier, où ce dompteur de bêtes féroces, nommé Morok, annonçait que, selon les ordres qu’il avait reçus, et sans qu’on pût l’accuser en rien, les filles du général Simon ne pourraient continuer leur voyage.
 
Au nom du général Simon un nuage passa sur les traits du maître de Rodin.
 


[1] « En lisant dans les règles de l’ordre des jésuites, sous le titre de Formula scribendi (Instit. II ch. XI. p. 125-129), le développement de la huitième partie des Constitutions, on est effrayé du nombre de relations, de registres, d’écrits de tout genre, conservés dans les archives de la Société. »
 
« C’est une police infiniment plus exacte et mieux informée que ne l’a jamais été celle d’aucun État. Le gouvernement de Venise lui-même se trouvait surpassé par les jésuites ; lorsqu’il les chassa, en 1806, il saisit tous leurs papiers, et leur reprocha LEUR GRANDE ET PÉNIBLE CURIOSITÉ. Cette police, cette inquisition secrète, portées à un tel degré de perfection, font comprendre toute la puissance d’un gouvernement si bien instruit, si persévérant dans ses projets, si puissant par l’unité, et, comme le disent les Constitutions, par l’union de ses membres. On comprend sans peine quelle force immense acquiert le gouvernement de cette société, et comment le général des jésuites pouvait dire au duc de Brissac : « DE CETTE CHAMBRE, MONSIEUR, JE GOUVERNE NON SEULEMENT LA CHINE, MAIS LE MONDE ENTIER, SANS QUE PERSONNE SACHE COMMENT CELA SE FAIT. » (Les Constitutions des jésuites, avec les Déclarations, texte latin, d’après l’édition de Prague, p. 176 à 178. Paris, 1834.)