Le Juif Errant

| 10.07 - Découvertes.

 

 

 

La porte, qu’Agricol n’avait pas songé à refermer, s’ouvrit pour ainsi dire timidement, et Françoise Baudoin, la femme de Dagobert, pâle, défaillante, se soutenant à peine, parut sur le seuil. Le soldat, Agricol et la Mayeux étaient plongés dans un si morne abattement, qu’aucune de ces trois personnes ne s’aperçut de l’entrée de Françoise.
 
Celle-ci fit à peine deux pas dans la chambre et tomba à genoux, les mains jointes, en disant d’une voix humble et faible :
 
– Mon pauvre mari… pardon…
 
À ces mots, Agricol et la Mayeux, qui tournaient le dos à la porte, se retournèrent, et Dagobert releva vivement la tête.
 
– Ma mère !… s’écria Agricol en courant vers Françoise.
 
– Ma femme ! s’écria Dagobert, en se levant et faisant un pas vers l’infortunée…
 
– Bonne mère !… toi, à genoux, dit Agricol en se courbant vers Françoise, en l’embrassant avec effusion ; relève-toi donc !
 
– Non, mon enfant, dit Françoise de son accent à la fois doux et ferme, je ne me relèverai pas avant que ton père… m’ait pardonnée… j’ai eu de grands torts envers lui… maintenant je le sais…
 
– Te pardonner… pauvre femme, dit le soldat ému en s’approchant. Est-ce que je t’ai jamais accusée… sauf dans un premier mouvement de désespoir ? Non… non… ce sont de mauvais prêtres que j’ai accusés… et j’avais raison… Enfin, te voilà, ajouta-t-il, en aidant son fils à relever Françoise ; c’est un chagrin de moins… On t’a donc mise en liberté ?… Hier je n’avais pu encore savoir où était ta prison… j’ai tant de soucis que je n’ai pas eu qu’à songer à toi… Voyons, chère femme, assieds-toi là…
 
– Bonne mère… comme tu es faible… comme tu as froid… comme tu es pâle !… dit Agricol avec angoisse et les yeux remplis de larmes.
 
– Pourquoi ne nous as-tu pas fait prévenir ? ajouta-t-il… Nous aurions été te chercher… Mais comme tu trembles !… chère mère… tes mains sont glacées… reprit le forgeron agenouillé devant Françoise.
 
Puis se tournant vers la Mayeux :
 
– Fais donc un peu de feu tout de suite.
 
– J’y avais pensé quand ton père est arrivé, Agricol ; mais il n’y a plus ni bois ni charbon…
 
– Eh bien… je t’en prie, ma bonne Mayeux, descends en emprunter au père Loriot… il est si bonhomme qu’il ne te refusera pas… Ma pauvre mère est capable de tomber malade… vois comme elle frissonne.
 
À peine avait-il dit ces mots que la Mayeux disparut. Le forgeron se leva, alla prendre la couverture du lit, et revint en envelopper soigneusement les genoux et les pieds de sa mère ; puis, s’agenouillant de nouveau devant elle, il lui dit :
 
– Tes mains, chère mère.
 
Et Agricol, prenant les mains débiles de sa mère dans les siennes, essaya de les réchauffer de son haleine.
 
Rien n’était plus touchant que ce tableau, que de voir ce robuste garçon à la figure énergique et résolue, alors empreinte d’une expression de tendresse adorable, entourer des attentions les plus délicates cette pauvre vieille mère pâle et tremblante.
 
Dagobert, bon comme son fils, alla prendre un oreiller, l’apporta, et dit à sa femme :
 
– Penche-toi un peu en avant, je vais mettre cet oreiller derrière toi ; tu seras mieux, et cela te réchauffera encore.
 
– Comme vous me gâtez tous deux, dit Françoise en tâchant de sourire ; et toi surtout, es-tu bon… après tout le mal que je t’ai fait ! dit-elle à Dagobert.
 
Et dégageant une de ses mains d’entre celles de son fils, elle prit la main du soldat, sur laquelle elle appuya ses yeux remplis de larmes ; puis elle dit à voix basse :
 
– En prison, je me suis bien repentie… va…
 
Le cœur d’Agricol se brisait en songeant que sa mère avait dû être momentanément confondue dans sa prison avec tant de misérables créatures… elle, sainte et digne femme… d’une pureté si angélique… Il allait pour ainsi dire la consoler d’un passé si douloureux pour elle ; mais il se tut, songeant que ce serait porter un nouveau coup à Dagobert. Aussi reprit-il :
 
– Et Gabriel, chère mère !… comment va-t-il, ce bon frère ? Puisque tu viens de le voir, donne-nous de ses nouvelles.
 
– Depuis son arrivée, dit Françoise en essuyant ses yeux, il est en retraite… ses supérieurs lui ont rigoureusement défendu de sortir… Heureusement, ils ne lui avaient pas défendu de me recevoir… car ses paroles, ses conseils m’ont ouvert les yeux ; c’est lui qui m’a appris combien, sans le savoir, j’avais été coupable envers toi, mon pauvre mari.
 
– Que veux-tu dire ? reprit Dagobert.
 
– Dame ! tu dois penser que si je t’ai causé tant de chagrin, ce n’est pas par méchanceté… En te voyant si désespéré, je souffrais autant que toi ; mais je n’osais pas le dire, de peur de manquer à mon serment… Je voulais le tenir, croyant bien faire, croyant que c’était mon devoir… Pourtant… quelque chose me disait que mon devoir n’était pas de te désoler ainsi. « Hélas ! mon Dieu ! éclairez-moi ! m’écriai-je dans ma prison, en m’agenouillant et en priant malgré les railleries des autres femmes ; comment une action juste et sainte qui m’a été ordonnée par mon confesseur, le plus respectable des hommes, accable-t-elle moi et les miens de tant de tourments ? Ayez pitié de moi, mon bon Dieu ! inspirez-moi, avertissez-moi si j’ai fait mal sans le vouloir… » Comme je priais avec ferveur, Dieu m’a exaucée ; il m’a envoyé l’idée de m’adresser à Gabriel… « Je vous remercie, mon Dieu, je vous obéirai, me suis-je dit : Gabriel est comme mon enfant… il est prêtre aussi… c’est un saint martyr… si quelqu’un au monde ressemble au divin Sauveur par la charité, par la bonté… c’est lui… Quand je sortirai de prison, j’irai le consulter, et il éclaircira mes doutes. »
 
– Chère mère… tu as raison ! s’écria Agricol, c’était une idée d’en haut… Gabriel… c’est un ange, c’est ce qu’il y a de plus pur, de plus courageux, de plus noble au monde ! C’est le type du vrai prêtre, du bon prêtre.
 
– Ah ! pauvre femme, dit Dagobert avec amertume, si tu n’avais jamais eu d’autre confesseur que Gabriel !…
 
– J’y avais bien pensé avant ses voyages, dit naïvement Françoise. J’aurais tant aimé me confesser à ce cher enfant… Mais, vois-tu, j’ai craint de fâcher l’abbé Dubois, et que Gabriel ne fût trop indulgent pour mes péchés.
 
– Tes péchés, pauvre chère mère… dit Agricol, en as-tu seulement jamais commis un seul ?
 
– Et Gabriel, que t’a-t-il dit ? demanda le soldat.
 
– Hélas ! mon ami, que n’ai-je eu plus tôt un entretien pareil avec lui. Ce que je lui ai appris de l’abbé Dubois a éveillé ses soupçons ; alors il m’a interrogée, ce cher enfant, sur bien des choses dont il ne m’avait jamais parlé jusque-là… Je lui ai ouvert mon cœur tout entier ; lui aussi m’a ouvert le sien, et nous avons fait de tristes découvertes sur des personnes que nous avions toujours crues bien respectables… et qui pourtant nous avaient trompés à l’insu l’un de l’autre…
 
– Comment cela ?
 
– Oui, on lui disait à lui, sous le sceau du secret, des choses censées venir de moi ; et à moi, sous le sceau du secret, on me disait des choses comme venant de lui… Ainsi… il m’a avoué qu’il ne s’était pas d’abord senti de vocation pour être prêtre… Mais on lui a assuré que je ne croirais mon salut certain dans ce monde et dans l’autre que s’il entrait dans les ordres, parce que j’étais persuadée que le Seigneur me récompenserait de lui avoir donné un si excellent serviteur, et que pourtant je n’oserais jamais demander, à lui Gabriel, une pareille preuve d’attachement, quoique je l’eusse ramassé orphelin dans la rue et élevé comme mon fils à force de privations et de travail… Alors, que voulez-vous ! le pauvre cher enfant, croyant combler tous mes vœux… s’est sacrifié. Il est entré au séminaire.
 
– Mais c’est horrible, dit Agricol, c’est une ruse infâme ; et pour les prêtres qui s’en sont rendus coupables, c’est un mensonge sacrilège…
 
– Pendant ce temps-là, reprit Françoise, à moi, on me tenait un autre langage ; on me disait que Gabriel avait la vocation, mais qu’il n’osait me l’avouer, de peur que je ne fusse jalouse à cause d’Agricol, qui, ne devant jamais être qu’un ouvrier, ne jouirait pas des avantages que la prêtrise assurait à Gabriel… Aussi, lorsqu’il m’a demandé la permission d’entrer au séminaire (cher enfant ! il n’y entrait qu’à regret, mais il croyait me rendre heureuse), au lieu de le détourner de cette idée, je l’ai, au contraire, engagé de tout mon pouvoir à la suivre, l’assurant qu’il ne pouvait mieux faire, que cela me causait une grande joie… Dame… vous entendez bien ! j’exagérais, tant je craignais qu’il ne me crût jalouse pour Agricol.
 
– Quelle odieuse machination ! dit Agricol stupéfait. On spéculait d’une manière indigne sur votre dévouement mutuel ; ainsi, dans l’encouragement presque forcé que tu donnais à sa résolution, Gabriel voyait, lui, l’expression de ton vœu le plus cher…
 
– Peu à peu, pourtant, comme Gabriel est le meilleur cœur qu’il y ait au monde, la vocation lui est venue. C’est tout simple : consoler ceux qui souffrent, se dévouer à ceux qui sont malheureux, il était né pour cela ; aussi ne m’aurait-il jamais parlé du passé sans notre entretien de ce matin… Mais, alors, lui toujours si doux, si timide… je l’ai vu s’indigner… s’exaspérer surtout contre M. Rodin et une autre personne qu’il accuse… Il avait déjà contre eux, m’a-t-il dit, de sérieux griefs… mais ces découvertes comblaient la mesure.
 
À ces mots de Françoise, Dagobert fit un mouvement et porta vivement la main à son front comme pour rassembler ses souvenirs. Depuis quelques minutes il écoutait avec une surprise profonde et presque avec frayeur le récit de ces menées souterraines, conduites par une fourberie si habile et si profonde.
 
Françoise continua :
 
– Enfin… quand j’ai avoué à Gabriel que, par les conseils de M. l’abbé Dubois, mon confesseur, j’avais livré à une personne étrangère les enfants qu’on avait confiées à mon mari… les filles du général Simon… le cher enfant, hélas ! bien à regret, m’a blâmée… non d’avoir voulu faire connaître à ces pauvres orphelines les douceurs de notre sainte religion, mais de ne pas avoir consulté mon mari, qui seul répondait devant Dieu et devant les hommes du dépôt qu’on lui avait confié… Gabriel a vivement censuré la conduite de M. l’abbé Dubois, qui m’avait donné, disait-il, des conseils mauvais et perfides ; puis ensuite ce cher enfant m’a consolée avec sa douceur d’ange en m’engageant à venir tout te dire… Mon pauvre ami ! il aurait bien voulu m’accompagner ; car c’est à peine si j’osais penser à rentrer ici, tant j’étais désolée de mes torts envers toi ; mais malheureusement Gabriel était retenu à son séminaire par des ordres très sévères de ses supérieurs ; il n’a pu venir avec moi, et…
 
Dagobert interrompit brusquement sa femme : il semblait en proie à une grande agitation :
 
– Un mot, Françoise, dit-il, car, en vérité, au milieu de tant de soucis, de trames si noires et si diaboliques, la mémoire se perd, la tête s’égare… Tu m’as dit, le jour où les enfants ont disparu, qu’en recueillant Gabriel, tu avais trouvé à son cou une médaille de bronze, et dans sa poche un portefeuille rempli de papiers écrits en langue étrangère ?
 
– Oui… mon mari.
 
– Que tu avais plus tard remis ces papiers et cette médaille à ton confesseur ?
 
– Oui, mon ami.
 
– Et Gabriel ne t’a-t-il jamais parlé depuis de cette médaille et de ces papiers ?
 
– Non.
 
Agricol, entendant cette révélation de sa mère, la regardait avec surprise, et s’écria :
 
– Mais alors Gabriel a donc le même intérêt que les filles du général Simon et Mlle de Cardoville… à se trouver demain rue Saint-François ?
 
– Certainement, dit Dagobert, et maintenant te souvient-il qu’il nous a dit, lors de mon arrivée, que dans quelques jours il aurait besoin de nous, de notre appui, pour une circonstance grave ?
 
– Oui, mon père.
 
– Et on le retient prisonnier à son séminaire ! Et il a dit à ta mère qu’il avait à se plaindre de ses supérieurs ! Et il nous a demandé notre appui, t’en souviens-tu ? d’un air si triste et si grave, que je lui ai dit :
 
– Qu’il s’agirait d’un duel à mort qu’il ne nous parlerait pas autrement !… reprit Agricol en interrompant Dagobert. C’est vrai, mon père… et pourtant, toi qui te connais en courage, tu as reconnu la bravoure de Gabriel égale à la tienne… Pour qu’il craigne tant ses supérieurs, il faut que le danger soit grand.
 
– Maintenant que j’ai entendu ta mère… je comprends tout… dit Dagobert. Gabriel est comme Rose et Blanche, comme Mlle de Cardoville… comme ta mère, comme nous le sommes peut-être, nous-mêmes, victimes d’une sourde machination de mauvais prêtres… Tiens, à cette heure que je connais leurs moyens ténébreux, leur persévérance infernale… je le vois, ajouta le soldat en parlant plus bas, il faut être bien fort pour lutter contre eux… Non, je n’avais pas l’idée de leur puissance…
 
– Tu as raison, mon père… car ceux qui sont hypocrites et méchants peuvent faire autant de mal que ceux qui sont bons et charitables comme Gabriel… font de bien. Il n’y a pas d’ennemi plus implacable qu’un mauvais prêtre.
 
– Je te crois… et cela m’épouvante, car enfin mes pauvres enfants sont entre leurs mains. Faudrait-il les leur abandonner sans lutte ?… Tout est-il donc désespéré ?… Oh ! non… non… pas de faiblesses !… Et pourtant… depuis que ta mère nous a dévoilé ces trames diaboliques, je ne sais… mais je me sens moins fort… moins résolu… Tout ce qui se passe autour de nous me semble effrayant. L’enlèvement de ces enfants n’est plus une chose isolée, mais une ramification d’un vaste complot qui nous entoure et nous menace… Il me semble que, moi et ceux que j’aime, nous marchons la nuit… au milieu des serpents… au milieu d’ennemis et de pièges qu’on ne peut ni voir ni combattre… Enfin, que veux-tu que je te dise !… moi, je n’ai jamais craint la mort… je ne suis pas lâche… eh bien ! maintenant, je l’avoue… oui, je l’avoue… ces robes noires me font peur… oui… j’en ai peur…
 
Dagobert prononça ces mots avec un accent si sincère, que son fils tressaillit, car il partageait la même impression.
 
Et cela devait être ; les caractères francs, énergiques, résolus, habitués à agir et à combattre au grand jour, ne peuvent ressentir qu’une crainte, celle d’être enlacés et frappés dans les ténèbres par des ennemis insaisissables : ainsi Dagobert avait vingt fois affronté la mort, et pourtant, en entendant sa femme exposer naïvement ce sombre tissu de trahisons, de fourberies, de mensonges, de noirceurs, le soldat éprouvait un vague effroi ; et quoique rien ne fût changé dans les conditions de son entreprise nocturne contre le couvent, elle lui apparaissait sous un jour plus sinistre et plus dangereux.
 
Le silence qui régnait depuis quelques moments fut interrompu par le retour de la Mayeux. Celle-ci, sachant que l’entretien de Dagobert, de sa femme et d’Agricol ne devait pas avoir d’importun auditeur, frappa légèrement à la porte, restant en dehors avec le père Loriot.
 
– Peut-on entrer, madame Françoise ? dit l’ouvrière, voici le père Loriot qui apporte du bois.
 
– Oui, oui, entre ma bonne Mayeux… dit Agricol pendant que son père essuyait la sueur froide qui coulait de son front.
 
La porte s’ouvrit, et l’on vit le digne teinturier, dont les mains et les bras étaient couleur amarante ; il portait d’un côté un panier de bois ; de l’autre, de la braise allumée sur une pelle à feu.
 
– Bonsoir la compagnie, dit le père Loriot, merci d’avoir pensé à moi, madame Françoise ! vous savez que ma boutique et ce qu’il y a dedans sont à votre service… Entre voisins on s’aide, comme de juste. Vous avez, je l’espère, été dans le temps assez bonne pour feu ma femme !
 
Puis, déposant le bois dans un coin et donnant la pelle à braise à Agricol, le digne teinturier, devinant à l’air triste et préoccupé des différents acteurs de cette scène qu’il serait discret à lui de ne pas prolonger sa visite, ajouta :
 
– Vous n’avez pas besoin d’autre chose, madame Françoise ?
 
– Merci, père Loriot, merci !
 
– Alors, bonsoir, la compagnie…
 
Puis, s’adressant à la Mayeux, le teinturier ajouta :
 
– N’oubliez pas la lettre pour M. Dagobert… je n’ai pas osé y toucher, j’y aurais marqué les quatre doigts et le pouce en amarante. Bonsoir la compagnie.
 
Et le père Loriot sortit.
 
– Monsieur Dagobert, voici cette lettre, dit la Mayeux.
 
Et elle s’occupa d’allumer le poêle, pendant qu’Agricol approchait du foyer le fauteuil de sa mère.
 
– Vois ce que c’est, mon garçon, dit Dagobert à son fils, j’ai la tête si fatiguée que j’y vois à peine clair…
 
Agricol prit la lettre, qui contenait seulement quelques lignes, et lut avant d’avoir regardé la signature :
 
« En mer, le 25 décembre 1831.
 
« Je profite de la rencontre et d’une communication de quelques minutes avec un navire qui se rend directement en Europe, mon vieux camarade, pour t’écrire à la hâte ces lignes, qui te parviendront, je l’espère, par le Havre, et probablement avant mes dernières lettres de l’Inde… Tu dois être maintenant avec ma femme et mon enfant… dis-leur…
 
« Je ne puis finir… le canot part… un mot en hâte… J’arrive en France… N’oublie pas le 13 février… l’avenir de ma femme et de mon enfant en dépend…
 
« Adieu, mon ami ! Reconnaissance éternelle.
 
« SIMON. »
 
– Agricol… ton père… vite… s’écria la Mayeux.
 
Dès les premiers mots de cette lettre, à laquelle les circonstances présentes donnaient un si cruel à-propos, Dagobert était devenu d’une pâleur mortelle… l’émotion, la fatigue, l’épuisement, joints à ce dernier coup, le firent chanceler. Son fils courut à lui, le soutint un instant entre ses bras ; mais bientôt cet accès momentané de faiblesse se dissipa, Dagobert passa la main sur son front, redressa sa grande taille, son regard étincela, sa figure prit une expression de résolution déterminée, et il s’écria avec une exaltation farouche :
 
– Non, non, je ne serai pas traître, je ne serai pas lâche : les robes noires ne me font plus peur, et cette nuit Rose et Blanche Simon seront délivrées !